Conférence du mercredi 1er octobre 2025, par Me Thierry Pomez, commissaire-priseur à Troyes

Ce mercredi, une fois n’est pas coutume, nous recevons un collègue en la personne de MThierry Pomez, bien connu à Troyes, et très attendu si on en croit la forte affluence. Celui qui fait « parler les objets », comme le dit M. le président dans sa présentation, va nous tenir en haleine pendant une heure et demie en mêlant habilement exposé « académique » et « petites anecdotes » tirées de sa longue expérience.

Me Pomez

Après avoir fait remarquer avec humour qu’il a devant lui « plus de monde que dans une salle des ventes depuis le covid », il définit ce qu’est un objet d’art en distinguant les arts majeurs, peinture et sculpture, qui sont le fait d’artistes, des arts décoratifs qui sont le fait d’artisans. Ces derniers reflètent l’évolution des goûts d’une époque comme le montrent une commode de style Transition qui marque le retour à un certain classicisme après les exubérances du Louis XV ou une paire de candélabres en bronze très caractéristiques du style Empire. Ils peuvent aussi témoigner d’une civilisation et avoir été élevés au rang d’art par le temps, tels qu’une hache-ostensoir kanak datant de la fin du XIXe ou une statuette funéraire égyptienne, objet usuel du Nouvel Empire adjugé 4 350 € en 2020.

Il y a deux marchés de l’art. Dans le « premier marché », celui de l’art contemporain, l’acquéreur achète directement à l’artiste. C’est le second, celui de la revente, qui nous intéresse aujourd’hui, lui-même composé d’une multitude de marchés spécialisés ayant chacun leur clientèle propre, par exemple le mobilier, les voitures, la céramique etc. Me Pomez donne l’exemple de deux paires de potiches de même style Imari et de même époque XVIIIe, l’une chinoise l’autre japonaise. La première a été vendue six fois plus cher car les Chinois fortunés « rachètent » des objets anciens provenant de leur pays.

Combien vaut une œuvre d’art ? Rien si elle n’est pas à vendre comme l’Arc de Triomphe emballé de Christo ou la Tour eucharistique de la cathédrale de Troyes due à Hélène Mugot. Pour les autres le prix se fixe par sa désirabilité qui dépend de l’acheteur et de son pouvoir d’achat.

On distingue quatre catégories d’acheteurs, les marchands qui achètent pour revendre, les particuliers pour l’agrément de leur cadre de vie, l’État et les collectivités publiques pour les musées enfin les collectionneurs. Parmi ces derniers, il y a le « vrai », prêt à payer très cher l’objet qui lui manque, celui qui assouvit un passe-temps, comme le philatéliste, le « suiveur » qui sacrifie sans compter à la mode du moment, par exemple les Pokémons, ou encore le « défricheur » qui, sortant des sentiers battus, essaie d’anticiper la mode et de ce fait achète peu cher, parfois dans un but spéculatif.

Quant aux vendeurs qui alimentant le marché, ce sont principalement des particuliers souvent à l’occasion de décès, divorces, déménagements ou besoin d’argent. Ils détiennent un patrimoine considérable, parfois sans le savoir. On a vu des œuvres de maitres abandonnées dans des greniers ou bien en vue sans qu’on y prête attention, « on l’a toujours vue là ». La presse se fait périodiquement l’écho de telles découvertes extraordinaires, par exemple dans L’Est-éclair du 1er février 2024, ce miroir « romain » de Line Vautrin « oublié » au-dessus d’une gazinière adjugé 37 000 euros à Troyes.

Les ventes aux enchères publiques organisées par des agences comme celle de notre collègue mettent en contact vendeurs et acheteurs. Le prix au plus offrant qui en résulte sert ensuite de référence au marché.

La valeur économique d’une œuvre d’art est déterminée par de nombreux critères, la qualité, la rareté, la provenance, le champ d’audience, la mode, l’état de conservation, et surtout l’authenticité, c’est-dire-dire la certitude que l’œuvre a réellement l’origine qui lui est attribuée. Dans ce domaine peuvent intervenir l’artiste lui-même ou ses ayants-droits, pas toujours d’accord entre eux, les fondations d’artistes, les auteurs de catalogues et en dernier ressort les experts, profession curieusement non règlementée, n’importe qui pouvant se proclamer expert. Heureusement il y a des cabinets d’expertise reconnus par leur longue expérience et leur déontologie et auxquels les commissaires-priseurs font régulièrement appel. L’authenticité peut aussi être confortée par la provenance qui elle-même peut résulter d’une étude historique de l’œuvre, telle cette commode Transition récemment vendue 125 000 euros dont on a pu retracer l’itinéraire de château en château depuis son origine. Plus anecdotiques cette montre très ordinaire portée par Charles de Gaulle authentifiée par son fils l’amiral récemment adjugée pour 537 000 euros ou ce sac à main ayant appartenu à Jane Birkin qui a frôlé les 9 millions…

Me Pomez attire l’attention sur le cas épineux des « biens orphelins » soupçonnés résulter par exemple des spoliations des Juifs par les nazis ou des pillages des musées irakiens qui confirment la nécessité de bien connaitre la provenance d’une œuvre avant de l’acquérir.

Commode Transition estampillée Oeben
Hache-ostensoir kanak
Miroir de Line Vautrin ca 1960

La dernière partie de l’exposé est consacrée à l’évolution du marché de l’art depuis son « explosion » en 1987 avec l’adjudication des Tournesols de Van Gogh pour l’équivalent de 87 millions d’euros alors que jusqu’à cette date le record était détenu à 29 millions par un tableau du XVe. Plusieurs autres Van Gogh ont suivi, de plus en plus chers, jusqu’au demi-milliard atteint en 2017 par le Salvador Mundi attribué, sans réelle certitude, à Léonard de Vinci. Notre collègue explique cette envolée vertigineuse des prix par la mondialisation du marché avec de nouveaux intervenants venus de Russie, du Moyen-Orient, de Chine ou du Vietnam. Après le creux de la crise sanitaire de 2020, le marché a connu un bref effet de rattrapage puis l’euphorie a pris fin, en grande partie à cause de l’instabilité géopolitique. Cette « grosse migraine » concerne surtout le haut de gamme alors que les lots plus accessibles trouvent toujours preneurs sur Internet où de nouveaux acheteurs « passent commande… comme sur Amazon ».

Dans ce marché en pleine transformation la France, première au début des années 1950, se situe à la 4e place, dépassée par les États-Unis, le Royaume-Uni et la Chine. Elle conserve néanmoins de nombreux atouts, notamment son réseau de professionnels reconnus et son « grenier d’œuvres » chez les particuliers.

Me Pomez conclut par ce conseil plein de sagesse : pour bien acheter il faut aimer l’art et pour cela rien ne vaut la fréquentation des musées.

Montre Lip portée par le General de Gaulle
Potiches Imari chinoises