Conférence publique du mercredi 5 novembre 2025, par Jean-Philippe Cauquelin, Architecte des Bâtiments de France

C’est dans une salle comble que M. le président accueille l’Architecte des Bâtiments de France, chef de l’Unité Départementale de l’Architecture et du Patrimoine de l’Aube, convaincu que son intervention nous aidera à faire le lien entre l’architecture de notre siège inauguré en 1890, témoin d’un siècle qui s’achevait, et celle du XXe siècle, que nous devons encore apprendre à regarder comme patrimoine, à part entière.

Sollicité pour parler de l’architecture du XXe siècle et de sa protection par notre collègue Jean-Louis Humbert, organisateur de ce cycle de conférences au nom de la section Arts, M. Cauquelin s’est vite trouvé confronté à une tâche plus complexe qu’il n’y paraissait au premier abord.

D’abord une question de définition. Architecture, patrimoine, temporalité. Est-il pertinent de se limiter au XXe siècle alors que nous voilà déjà au quart du XXIe et qu’un nouveau label a été créé ? En effet, le label « Patrimoine du XXe siècle », institué en 1999 par la ministre de la culture Catherine Trautmann suite à une prise de conscience du Conseil de l’Europe, a été remplacé en 2016 par le label « Architecture contemporaine remarquable » (ACR) lequel ne s’applique qu’aux bâtiments de moins d’un siècle, si bien que le corpus des biens labellisés s’est vu ainsi réduit des deux tiers sur l’ensemble du territoire national, en perdant les édifices de plus de 100 ans et ceux qui ont été inscrits ou classés parmi des monuments historiques à l’instar dans l’Aube des églises Sainte-Agnès de Fontaine-les-Grès (1956) et Notre-Dame des Bas-Trévois (1934) ou de l’ancien hôtel-de-ville de Sainte-Savine, devenu L’Art-déco (1935).

Pourquoi avoir changé de label ? Parce que la production architecturale du XXe siècle, particulièrement prolifique, reste relativement complexe à apprécier par manque de recul et de connaissance. Comme le fait remarquer le conférencier, les outils manquent car elle n’est plus classifiable comme cela a été fait au travers des traités et manuels portant sur l’histoire de l’architecture. Tout est à inventer, les objectifs, les acteurs, les critères d’éligibilité, la médiation auprès du public etc. Faute de précision l’ancien label s’est vite trouvé inopérant dans le cas de menaces sur un bien labellisé lors de travaux projetés, à l’exemple de la « tour de contrôle » de la sucrerie d’Arcis-sur-Aube, labellisée en 2000 et détruite en catimini dans les années suivantes. S’est donc posée la question de mieux documenter les édifices identifiés et de motiver leur labellisation, ou encore de prévoir l’accompagnement des projets de travaux, afin d’aller au-delà du seul signalement des édifices remarquables.

L’attribution du label ACR est plus exigeante, en termes de description des biens concernés comme en termes de motivation de la décision dans l’objectif de montrer l’intérêt de constructions récentes que tout un chacun peut habiter et fréquenter, de faire le lien entre le patrimoine ancien et la production architecturale actuelle, d’inciter à leur réutilisation en les adaptant aux attentes du citoyen.

La « tour de contrôle » de la sucrerie d’Arcis

Le label est attribué par le préfet de Région à la demande de toute personne y ayant intérêt, par exemple l’architecte ou l’administration de la culture, étant bien entendu que rien ne peut se faire sans l’accord du propriétaire qui pourrait craindre une restriction d’usage même si officiellement il n’en est rien si ce n’est l’obligation d’informer l’administration en cas de vente ou de travaux. En réalité il y trouve des avantages indéniables tels que l’aide de la DRAC et de ses experts en cas de travaux de modification. Par contre, ni subvention, ni avantages fiscaux.

Pour bien connaitre et faire connaitre l’architecture contemporaine remarquable, une base de données a été constituée. On y trouve notamment pour chaque édifice labellisé une notice monographique accompagnée d’un dossier de photographies réalisées par des artistes missionnés par l’État. Des actions spécifiques sont menées auprès du public pour valoriser cette architecture contemporaine qui fait partie de son cadre de vie quotidien, en premier lieu les logements collectifs et les équipements publics de proximité. L’idée est d’inverser le regard des habitants sur leur cadre de vie, susciter une certaine fierté d’y vivre, forme de protection indirecte des bâtiments.

Parmi les exemples présentés par M. Cauquelin, on peut citer la Villa Jules Guesde, ensemble de 131 logements sociaux construits en 1925 sous la mandature du maire ouvrier Émile Clévy, témoignage de l’histoire politique et sociale de la ville de Troyes, et plus généralement, de l’histoire du logement social en France. Parallèlement est comblé le « canal sans eau » devenu un boulevard arboré et est construite l’église Notre-Dame des Trévois due à l’architecte Dom Bellot décorée d’une statue d’Henri Charlier, classée MH en 2001. Comme autres exemples d’architecture remarquable dans un quartier populaire, on peut citer le château d’eau des Hauts-clos (1970) et l’église Saint-Bruno (1961), cette dernière étant l’œuvre de notre ancien collègue Michel Marot précédemment récompensé d’une Équerre d’argent pour Sainte-Agnès.

Impossible de détailler la grande diversité de la vingtaine d’édifices aubois présentés par M. Cauquelin, maisons individuelles (Devoldère à Rosières ou Dick à Saint-André, dues à Jean Nouvel), équipements industriels (grands moulins de Nogent-sur-Seine), touristiques (Port-Dienville), sportifs (piscine Lucien Zins), de services privés (siège du Crédit agricole à Troyes), de services publics (Médiathèque de Troyes), anciens bâtiments privés rénovés et reconvertis en équipements publics (Maison des associations à Troyes) etc.

Si certains ont tout de suite fait l’unanimité comme la Médiathèque, il n’en a toujours été de même. C’est le cas du collège de Pont-Sainte-Marie construit en 1990 qui par son plan éclaté apparait dans un premier temps comme un « ovni » dans le paysage urbain résidentiel avant de devenir la fierté du département qui l’a nommé Euréka, collègue du futur.

Pour sa part, la maison Dick a été l’objet d’âpres négociations entre les propriétaires, l’architecte et l’administration pour obtenir le permis de construire. La voilà maintenant labellisée grâce notamment à la notoriété de son architecte, laquelle est du reste un critère d’éligibilité.

L’intérêt du sujet a suscité de nombreuses questions de l’assistance par exemple sur l’ancienne MJC de Troyes, Copainville, la villa Viardot ou la passerelle de La Chapelle-Saint-Luc. M. Cauquelin a répondu avec précision et, comme l’a souligné le président, chacun est reparti « avec un regard enrichi, plus attentif peut-être, plus curieux surement, sur ces constructions que nous côtoyons chaque jour sans toujours en saisir la valeur ».