Conférence publique du mercredi 5 juin 2024 par Emmanuel Côtez et Sonja Laubscher
Belle affluence pour cette conférence passionnante car prononcée avec enthousiasme par deux passionnés qui précisent d’emblée qu’aucun d’eux n’est botaniste professionnel, l’un étant éditeur des publications scientifiques du muséum d’histoire naturelle de Paris, l’autre documentaliste de collège retraitée, tous deux de formation littéraire.
Ils nous racontent comment un herbier constitué par un amateur, voué à l’oubli voire à la destruction, est devenu un « trésor » conservé physiquement dans les réserves du muséum de Troyes et numériquement sur divers sites accessibles au grand public et à la communauté scientifique.
Cyclotouriste curieux de nature, inspecteur des PTT à Troyes, où il a passé la majeure partie de sa vie, Daniel Pellé (DP) était membre du Club alpin et de sa section botanique. Entre 1942 et son décès en 1989, il a herborisé principalement dans l’Aube, et ailleurs en France, en Europe et en Afrique du Nord. Il a ainsi récolté dans 451 lieux différents et fixé sur des planches près de 2 000 spécimens soigneusement étiquetés à l’aide des flores Bonnier et Coste avec la collaboration de René Prin, botaniste aubois amateur lui aussi mais reconnu, qui fut président de notre Société en 1961. Daniel Pellé partait régulièrement en campagne pour effectuer des récoltes, dénicher telle ou telle plante rare dont il avait entendu parler ou simplement passer de longues heures à se promener dans la nature. Il a aussi rapporté, à l’occasion de ses vacances des plantes de Suisse, d’Espagne, d’Italie, d’Algérie, du Portugal, d’Andorre ou de Turquie.
Daniel Pellé n’herborisait pas seul, il échangeait régulièrement avec René Prin et d’autres botanistes de l’Aube et d’ailleurs, notamment via des échanges au sein de la Société française pour l’échange des plantes vasculaires (SFE). Les planches de l’herbier DP sont conservées dans des chemises cartonnées, chacune fermée par une sangle en coton.
En 2008, sa veuve confie l’herbier à Mme Laubscher qui après avoir passé deux ans à « l’admirer », particulièrement la remarquable conservation des couleurs, se convainc qu’elle détient un trésor qu’elle se doit de faire connaitre. En 2010, son fils Emmanuel Côtez, qui vient d’entrer au muséum de Paris, le propose à ce dernier qui le refuse faute de place. Commence alors un long travail de numérisation par Mme Laubscher, deux scanneurs y ont laissé leur vie, puis d’informatisation avec M. Côtez.
Si la première opération bien que fastidieuse a été relativement facile, la seconde s’est révélée beaucoup plus complexe faute d’outils informatiques adaptés qu’il a fallu créer de toutes pièces et à cause de difficultés insoupçonnées comme le déchiffrage du contenu quelque peu ésotérique des étiquettes ou le changement de nom de certaines espèces depuis leur identification par DP. Ils ont dû remettre plusieurs fois l’ouvrage sur le métier pour arriver à un résultat satisfaisant, une base de données relativement facile à utiliser aux multiples entrées : noms français et latins des taxons, familles, lieux de récolte, noms des récolteurs, dates de récolte, numéros sur les flores etc.
Il a fallu ensuite faire valider ce travail d’amateurs bénévoles par la communauté scientifique, le faire connaitre, enfin sécuriser et pérenniser les données numériques et l’herbier physique.
Après la validation par Christophe Reveillard, botaniste au muséum national d’histoire naturelle, l’enregistrement de l’acronyme DP dans la nomenclature internationale, ce fut le dépôt en 2020 au muséum de Troyes par le biais d’une convention entre Jean-Christophe Pellé, fils de DP, et notre collègue Juliette Galpin, conservatrice, tous deux présents dans la salle, enfin une publication en 2023 par Emmanuel Côtez dans la revue Adansonia (disponible gratuitement sur Internet). Le catalogue numérique de 600 pages peut être consulté à l’adresse https://doi.org/10.5852/adansonia2023v45a13_s3.
Voilà le résultat de dix ans de travail bénévole dont nos deux conférenciers peuvent être fiers. En tout cas ils ont su captiver leur auditoire avec un sujet a priori plutôt rébarbatif.
