Conférence du mercredi 9 septembre 2024 par M. Éric Blanchegorge, conservateur en chef du patrimoine, directeur des musées la Ville de Troyes.
Salle comble pour la conférence de rentrée prononcée par notre collègue Éric Blanchegorge, conservateur en chef du patrimoine, directeur des musées la Ville de Troyes, sur le thème Les sciences au service des patrimoines.
Rappel historique
Avant de développer trois exemples troyens, M. Blanchegorge rappelle que « les objets matériels qui appartiennent aux différentes formes de patrimoines portent en eux-mêmes les germes de leurs irrémédiables altérations », le vieillissement étant la cause la plus naturelle. Mais, ajoute-t-il aussitôt, les conditions de conservation elles-mêmes peuvent être encore plus pernicieuses. Et de citer deux exemples célèbres, « l’Homme des glaces » du musée de Bolzano et la grotte de Lascaux.
Concernant l’homme mort il y a plus de 5000 ans dans le glacier de l’Ötztal avec ses vêtements de cuir, ses outils et ses armes, sa conservation dans les conditions de température et d’hygrométrie que l’on croyait optimales ne l’a pas empêché de perdre les deux tiers de son poids.
Quant aux peintures de Lascaux, elles ont commencé à se dégrader dès l’ouverture de la grotte au public alors qu’elles avaient traversé sans dommages apparents plus de vingt millénaires. Ce fut d’abord la « maladie verte » que l’Institut Pasteur et le CNRS ont attribuée à diverses espèces d’algues, amibes, champignons et bactéries. Même la fermeture de la grotte n’a pas suffi à éradiquer le problème, il a fallu avoir recours à divers produits antibiotiques tels que la pénicilline et la streptomycine. Puis ce fut la « maladie blanche » voilant les peintures de calcite formée par la modification de l’air ambiant, notamment l’augmentation de la teneur en CO2 due à la respiration des visiteurs.
Le conférencier note au passage que l’intervention de l’Institut Pasteur se place dans la continuité du goût du savant pour l’alliance des sciences et des arts qui a conduit Napoléon III à le nommer professeur de physico-chimie appliquée à l’école des Beaux-Arts de Paris. Il rappelle les débuts de la paléométallurgie avec l’Allemand Von Brida et le Français Berthelot ainsi que la découverte des rayons X par l’Allemand Röntgen en 1895, lesquels furent appliqués dès 1901 au comptage d’un amas de pièces antiques et conduisirent à la découverte de radioactivité naturelle qui permet la fameuse datation au carbone 14 des objets en matière organique. Ces évolutions des sciences ont entrainé la création de laboratoires au sein des grands musées tels que celui du Louvre devenu le C2RMF, lesquels laboratoires se sont fédérés au niveau européen pour optimiser les dépenses.
Tout cela apporte une connaissance toujours plus fine des matériaux et des techniques, à une meilleure compréhension de leur évolution dans le temps et à un enrichissement constant des méthodes de conservation et de restauration du patrimoine.
M. Blanchegorge développe alors ces trois points à l’aide d’exemples pris dans les musées troyens.
Identifier les matériaux : les grenats du mobilier funéraire de Pouan
Notre collègue rappelle brièvement la découverte en 1842 d’une tombe mérovingienne au riche mobilier à Pouan-les-Vallées et l’entrée en 1858 au musée de Troyes dudit mobilier au style cloisonné caractéristique des Ve et VIe siècles. Ce mobilier est orné de grenats dont on a pu identifier la provenance en 1999-2000 grâce à une étude gemmologique et géophysique menée par le C2RMF et le professeur Patrick Périn, spécialiste de la période mérovingienne.
L’étude portait sur 1290 grenats ornant 131 objets mérovingiens conservés dans les musées français dont le nôtre. La combinaison d’une analyse chimique grâce à l’accélérateur de particules AGLAÉ (méthode PIXE) et de la caractérisation des inclusions par micro-spectrométrie RAMAN, le tout combiné à un traitement statistique, a permis d’identifier cinq types de grenats dont trois originaires de l’Inde ou de Ceylan, parmi lesquels ceux de Pouan. Voilà qui en dit long sur les échanges commerciaux à cette époque préislamique et surtout pose des questions passionnantes…
Mieux comprendre l’évolution d’une œuvre dans le temps : le traineau au lion
Le musée Saint-Loup conserve un traineau au lion identique à ceux du château de Versailles datés du règne de Louis XV. En 1900 son propriétaire Victorien Sardou le dévoile à l’Exposition universelle de Paris. Il devient ensuite la propriété de Mme Vernier qui l’offre au musée en 1911. Il présentait de nombreuses fissures et lacunes, ainsi qu’un encrassement généralisé et des retouches désordonnées.
Il a fait l’objet d’un mémoire de fin d’études à l’école de Tours et des examens techniques ont été menés par les restauratrices en formation dans ladite école. Le but était de mieux connaitre la matérialité du traineau, notamment les essences de bois et les différents états de l’œuvre en analysant les treize couches picturales, telles que dorure, peinture, vernis et surtout la recherche d’un numéro d’inventaire spécifique aux traineaux de Versailles avant la Révolution. Parmi les techniques utilisées on peut citer la radiographie aux rayons X (au C2RMF), la photographie sous lumière UV, la microscopie électronique à balayage, la spectroscopie RAMAN déjà utilisée sur le trésor de Pouan, la pyrolyse-chromatographie en phase gazeuse, autant de techniques de pointe qui ont permis entre autres choses de déterminer que le traineau a été originellement entièrement doré et qu’il a bien appartenu à la « flotte » royale de Louis XV, sous le numéro 6.
Enrichir les méthodes de conservation et de restauration du patrimoine : le lutteur Nouba d’Ousmane Sow.
Représentant un lutteur grandeur nature tombé à terre, créée à Dakar entre 1984 et 1987, l’œuvre est entrée dans les collections du musée d’art moderne en 1990, suite à une exposition. Composée de matériaux hétéroclites, elle présentait des altérations structurelles et évolutives telles que déformation, corrosion, empoussièrement, pertes de matières. De surcroit elle adhérait à la peinture de son ancien socle créé pour l’exposition temporaire.
Il était donc urgent, par le biais d’interventions de conservation et restauration, de stabiliser la structure de l’œuvre et d’améliorer sa lisibilité avant la réouverture du musée au printemps dernier..
Une étude réalisée en 2021 a montré que la sculpture est un modelage peint réalisé autour d’une âme métallique composée de tiges de diverses sections et de fil de fer enroulés qui lui confère une certaine souplesse puis par l’addition d’une mystérieuse « matière » composée de matériaux divers, à la fois synthétiques et organiques que l’artiste lui-même est parfois incapable d’identifier.
Ici, l’intervention des conservateurs restaurateurs n’a fait pas appel à des technologies de pointe, si ce n’est une préalable radiographie, mais plutôt à des méthodes douces tels que nettoyage à l’eau déminéralisée ou aux solvants à l’aide d’éponges ou de bâtonnets de coton, dépoussiérage avec mini aspirateur, ajout de papier japonais teinté et encollé avec un adhésif adapté, pour résumer méthodes qui font plus appel à l’habilité et à l’empirisme qu’à la haute technologie.
Les questions qui ont suivi cette conférence de haut vol, notamment celles de nos collègues Pierre Benoit et Gilles Aubagnac, ont donné l’occasion à M. Blanchegorge de préciser les critères qui président au choix de telle ou telle œuvre pour des opérations de restauration.